Volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté – la réalité changeante des entreprises
Personne ne sera surpris d’entendre que les entreprises sont confrontées à des environnements de plus en plus instables. De plus, la vitesse à laquelle ils doivent s’adapter aux changements accélère.
Dans la majorité des organisations, les dirigeants et les employés doivent continuellement naviguer sur des vagues de changements (fusion, transformation numérique, restructuration, réduction des effectifs, optimisation des processus, etc.).
La réalité d’aujourd’hui sera changée demain!
Il est donc de plus en plus difficile pour les entreprises et leurs dirigeants de s’adapter à un contexte volatile, incertain, complexe et ambigu. C’est ce que plusieurs nomment un environnement VICA (Traduction libre de VUCA = volatility, uncertainty, complexity, and ambiguity).
Dans ce contexte, le changement n’est pas quelque chose d’improbable, il est constant. Et il est perturbateur! Pour survivre, les entreprises doivent devenir plus adaptatives. L’agilité organisationnelle (ou agilité d’entreprise) nous paraît donc une avenue nécessaire à la pérennité et à la croissance des organisations.
Ce ne sont pas les entreprises les plus fortes, ni les plus intelligentes qui survivent, mais celles qui s’adaptent le mieux au changement. – Texte adapté de la citation attribuée à Darwin |
Alors que la durée de vie d’une entreprise du S&P500 était de 90 ans en 1935, elle a chuté à 61 ans en 1958. Elle n’est maintenant que de 17 ans. Il est donc apparent que les conditions économiques auxquelles sont confrontées les entreprises les amènent à devoir adapter leurs modes de fonctionnement.
Dans l’article The five trademarks of agile organizations, certaines grandes tendances affectant l’adaptation des entreprises sont d’ailleurs mises en lumière.
- Les demandes des différents intervenants changent et évoluent rapidement. Les clients ont des besoins spécifiques et urgents. Les investisseurs exigent une croissance qui se traduit par des acquisitions et des restructurations. Les concurrents et les collaborateurs exigent des mesures pour s’adapter aux priorités en évolution rapide.
- Les entreprises et les industries établies sont banalisées ou remplacées par les transformations numériques. L’utilisation novatrice de nouveaux modèles, l’automatisation et les transformations numériques permettent aux petites entreprises d’émerger et de compétitionner avec des entreprises plus grandes et mieux établies.
- À mesure que les tâches créatives fondées sur le savoir et l’apprentissage prennent de l’importance, les organisations ont besoin de propositions distinctives pour acquérir et conserver les meilleurs talents. Les “travailleurs du savoir” ont des origines, des modes de pensée, une composition et une expérience plus variées et ont aussi des désirs différents.
Il existe cependant un obstacle important à l’adoption de l’agilité organisationnelle. Dans un article intitulé “Embracing Agile”, Darrell K. Rigby, Jeff Sutherland et Hirotaka Takeuchi mentionnent
“Lorsque nous demandons aux dirigeants ce qu’ils connaissent de l’agilité, la réponse est généralement un sourire mal à l’aise suivi de « Juste assez pour être dangereux ». Ces dirigeants utilisent des termes agiles (« sprints », « time box ») et prétendent que leurs entreprises deviennent de plus en plus agiles. Mais parce qu’ils n’ont pas suivi de formation, ils ne comprennent pas vraiment l’approche. Par conséquent, ils continuent involontairement de gérer de manière contraire aux principes et aux pratiques agiles, ce qui nuit à l’efficacité des équipes agiles dans les unités qui relèvent d’eux.
Ces dirigeants lancent d’innombrables initiatives avec des échéances urgentes plutôt que d’attribuer la plus haute priorité à deux ou trois. Ils organisent des réunions fréquentes avec les membres des équipes agiles. Beaucoup d’entre eux deviennent trop impliqués dans le travail des équipes individuelles. Ils parlent plus qu’ils écoutent. Ils favorisent les idées marginales que leurs équipes ont déjà considérées et abandonnées. Ils annulent systématiquement les décisions prises par leurs équipes et ajoutent des couches de contrôles pour s’assurer que les erreurs ne se répètent pas. Avec les meilleures intentions, ces dirigeants érodent les avantages que l’innovation agile peut leur apporter.
Certains cadres semblent associer l’agilité à l’anarchie (tout le monde fait ce qu’il veut), alors que d’autres pensent que cela signifie «faire ce que je dis, seulement plus vite». Mais l’agilité n’est ni l’un ni l’autre.”
Dans un tel contexte, il est critique d’éduquer et d’accompagner les gestionnaires afin de les aider à changer leur compréhension, leurs perceptions et leurs comportements.
Mais alors, qu’est-ce que l’agilité?
Selon le contexte le terme “agilité” prend différentes définitions, ce qui amène de la confusion lorsque les entreprises disent souhaiter faire une “transformation agile”. Le terme “agilité” a été utilisé pour la première fois dans les années 1990 pour décrire les organisations manufacturières qui s’adaptaient rapidement aux besoins changeants de leurs clients. Au début des années 2000, le concept d’agilité s’est élargi pour signifier «anticiper et s’adapter à des conditions changeantes» et «gérer efficacement des relations complexes et interdépendantes». (Source : Leadership Agility)
Notre définition de l’agilité est donc fortement influencée par le manifeste agile qui a été publié en 2001. À l’origine, l’agilité décrite dans le manifeste se limitait au développement de logiciels. Dans ce sens, l’agilité était décrite comme une approche de développement de logiciels selon laquelle les exigences et les solutions évoluent dans le temps grâce aux efforts collaboratifs des équipes auto-organisées et de leurs clients. (Source : wikipedia)
Alors que certains disent affectueusement que l’agilité « c’est simplement le gros bon sens », il est nécessaire d’être plus explicite. Fondamentalement, l’agilité est une philosophie, c’est une manière de penser qui est soutenue par des valeurs (principes qui servent de référence) et des principes (règles générales servant à guider la conduite).
L’approche agile préconise entre autres, la planification adaptative, le développement évolutif, la livraison hâtive et l’amélioration continue. Elle encourage donc une réponse rapide et flexible aux changements.
Dans ce sens, le manifeste agile énonce 12 grands principes qui guident et soutiennent une approche itérative et centrée sur les individus.
Les 12 principes de l’agilité
- La plus haute priorité est de satisfaire les besoins des clients en livrant rapidement et régulièrement des fonctionnalités à grande valeur ajoutée.
- L’équipe accueille positivement les changements de besoins à toutes les étapes du projet.
- L’équipe livre un produit/service opérationnel à l’intérieur de cycles courts et prédéterminés.
- Les utilisateurs (ou leurs représentants) et les développeurs collaborent étroitement quotidiennement tout au long du projet.
- Les projets sont réalisés par des contributeurs motivés. Fournissez-leur l’environnement et le soutien dont ils ont besoin et faites-leur confiance pour atteindre les objectifs fixés.
- Privilégiez la colocalisation des personnes travaillant ensemble et le dialogue en face à face comme méthode de communication.
- Un logiciel opérationnel est la principale mesure de progression d’un projet.
- Les processus agiles encouragent un rythme de développement soutenable. Ensemble, les commanditaires, les développeurs et les utilisateurs devraient être capables de maintenir indéfiniment un rythme constant.
- Une attention continue à l’excellence technique et à un bon design.
- La simplicité – c’est-à-dire l’art de minimiser la quantité de travail inutile – est essentielle.
- Les meilleures architectures, spécifications et conceptions émergent d’équipes auto-organisées.
- À intervalles réguliers, l’équipe réfléchit aux moyens possibles pour devenir plus efficace. Puis elle s’adapte et modifie son mode de fonctionnement en conséquence.
Et qu’est-ce qu’une organisation agile?
Une entreprise agile est donc une organisation qui possède une structure et des processus qui lui permettent de réagir et s’adapter rapidement aux conditions changeantes de son marché (et de ses clients).
Pour être agiles, les structures et les processus doivent être fortement ancrés dans une mentalité agile. Cette manière de penser est fréquemment caractérisée par certains éléments tels que la transparence, l’authenticité, la collaboration, la responsabilisation, l’élimination de relations hiérarchiques, l’amélioration continue et la tolérance aux erreurs.
Dans ce sens, l’organisation agile capitalise sur la participation active de ses clients dans l’établissement de ses solutions. Pour ce faire, elle met en place des processus allégés (Lean) et des livraisons incrémentielles, elle décentralise l’autorité dans la prise de décisions et la planification des activités afin d’augmenter la vitesse de sa prise de décisions et de son exécution et de favoriser l’innovation.
Pour y arriver, l’organisation agile est composée d’employés, d’équipes et de dirigeants qui possèdent des compétences et qui démontrent des comportements qui soutiennent une culture entrepreneuriale orientée vers l’atteinte d’objectifs durables. Ainsi, l’agilisation de l’organisation passe souvent par la mise en place d’équipes auto-organisées qui sont près de leurs clients afin de répondre rapidement aux exigences changeantes de leur marché.
De plus, l’entreprise agile est une organisation apprenante qui est en mesure de s’adapter constamment, ce qui lui permet d’être résiliente, même dans un environnement imprévisible. Dans ce contexte, le rôle des leaders agiles est celui de «propriétaires d’initiatives», qui sont responsables des résultats globaux et celui de facilitateurs, qui coachent les membres de leurs équipes et qui contribuent à garder tous les employés activement engagés.
Dans son livre blanc intitulé Organizational Agility Report, le Project Management Institute (PMI) présente une dizaine de caractéristiques décrivant l’agilité organisationnelle.
Celui-ci indique
- Une plus grande rapidité à répondre aux opportunités stratégiques.
- Une réduction du temps de cycle entre la prise de décisions, l’exécution et l’évaluation des résultats.
- Une emphase sur la gestion du changement.
- L’intégration de la “voix du client” dans les processus d’affaires.
- Un focus constant sur la gestion du risque.
- Des équipes de projets multidisciplinaires.
- L’élimination des silos organisationnels.
- La mise en place de plans de contingence.
- L’utilisation d’approches itératives de gestion de projets.
- L’utilisation accrue de la technologie.
Si je comprends bien, l’agilité organisationnelle, c’est donc l’agilité au-delà du développement logiciel?
Exactement!
Pour nous, l’agilité organisationnelle est fondamentalement la capacité d’une organisation d’être flexible et innovante afin de s’adapter rapidement aux changements qui surviennent dans son environnement. L’organisation agile est ainsi en mesure d’offrir des solutions (produits ou services) de qualité répondant parfaitement aux besoins de ses clients.
Alors qu’elle a initialement été mise en place dans l’industrie du développement de logiciels afin d’améliorer les processus et de régler rapidement les problèmes rencontrés, de nombreuses industries ont adapté l’agilité et utilisent maintenant des approches agiles dans leurs opérations courantes.
Nonobstant l’approche privilégiée, l’agilité organisationnelle permet entre autres aux équipes de développer et de fournir des produits et services de meilleure qualité et de manière plus rapide, tout en capitalisant sur les facteurs de motivation des employés.
Il est important de souligner que la prestation de services et le développement de produits ne sont pas spécifiques au développement de logiciels. Toutes les unités d’une entreprise fournissent des produits et/ou services à leurs clients. Par conséquent, les bénéfices de l’agilité sont applicables à toutes les unités d’affaires d’une organisation.
Je comprends mieux. Alors quels sont les bénéfices associés à l’agilité organisationnelle (ou agilité d’entreprise)?
“Agile is about change; changing how you think, changing how you work, and changing the way you interact. By accepting, embracing, and shaping change, you can take advantage of new opportunities to outperform, and out-compete, in the market. While this sounds simple, change, by its very nature, is not easy.” – Directing The Agile Organization: A Lean Approach To Business Management
L’agilité organisationnelle permet d’augmenter :
- L’emphase sur les besoins réels des clients
- La satisfaction des parties prenantes
- La rapidité de détection des problèmes
- La flexibilité et l’adaptabilité aux changements
- Le contrôle des projets et l’atteinte des objectifs
- La rapidité de déploiement de solutions
- La collaboration entre les individus
Ce qui résulte ultimement en une augmentation de la productivité, de la qualité des biens et services produits et de la motivation des employés.
Avez-vous des exemples de pratiques courantes utilisées par des entreprises ayant adopté l’agilité organisationnelle?
Alors que l’agilité logicielle possède son manifeste, certains ont tenté de définir un manifeste de l’agilité organisationnelle (ici, ici et ici). Selon nous, l’agilité au niveau organisationnelle possède une philosophie et des caractéristiques spécifiques, telle que :
1. La priorisation des actions en fonction de la valeur produite pour les clients et pour l’atteinte de la vision de l’entreprise.
- Prioriser les actions qui visent à satisfaire les attentes des clients est toujours la plus haute priorité de chaque personne dans l’entreprise.
- Réduire le nombre de projets en parallèle afin de prioriser les activités à faire en fonction de leur valeur d’affaires et/ou de leur contribution à l’atteinte de la vision de l’entreprise.
- Minimiser les efforts inutiles et la duplication des ressources qui diminuent la valeur d’affaires.
2. L’utilisation constante de processus empiriques (“inspect and adapt”)
Ou ce que plusieurs nomment une approche itérative et incrémentale qui consiste à:
- Fragmenter les grands projets en activités de taille « gérable ».
- Utiliser des cycles (ou itérations) à durée fixe forçant à faire des choix en fonction de critères définis à l’avance.
- Évaluer les résultats obtenus à la fin des cycles (par des rétrospectives) afin d’en tirer des apprentissages permettant d’améliorer les actions futures.
- Détecter rapidement les problèmes et ajuster les stratégies de façon continue.
- Voir les changements imprévus comme des opportunités d’amélioration.
- Adapter les plans en fonction de la nouvelle réalité.
3. Une considération constante pour les humains
Ce que certains nomment “people first”, en démontrant la confiance, la transparence et le respect de chacun dans un environnement “sécure” (psychological safety).
- Mettre en place des environnements de travail stimulants permettant aux employés d’utiliser leur plein potentiel et de contribuer positivement au succès collectif.
- Maintenir un rythme de travail constant et soutenable.
- Mettre en place un contexte épanouissant et offrir des défis motivants pour tous.
- Éliminer les comportements toxiques comme la complaisance, le blâme et le commérage.
4. Une structure, un mode de fonctionnement et des comportements qui respectent la mentalité agile (“agile mindset”)
En énonçant les comportements privilégiés et la philosophie orientant les actions quotidiennes de tous.
- Mettre en place un mode de gestion favorisant la responsabilisation des individus.
- Permettre aux employés de prendre les décisions clés dans les projets où ils sont impliqués.
- Donner l’autonomie aux équipes de s’organiser de manière efficace pour répondre aux besoins de l’organisation.
- Favoriser la collaboration étroite entre les parties impliquées.
- Éliminer les relations « parents-enfants ».
- Favoriser la transparence et être en mesure d’avoir des conversations authentiques.
- Apprendre continuellement de ses erreurs.
5. La mise en place de processus et de structures flexibles permettant une adaptation constante aux changements
- Révision constante des processus d’affaires, des rôles et des responsabilités et de la structure afin permettre à l’organisation de répondre rapidement aux changements.
- Réduction de la rigidité des processus et des structures.
Quelles sont les principales distinctions entre l’agilité organisationnelle et l’entreprise traditionnelle?
L’agilité organisationnelle se distingue de l’entreprise traditionnelle à plusieurs niveaux.
Agilité organisationnelle | Entreprise traditionnelle |
Les actions des employés sont dirigées vers la satisfaction (et le dépassement) des attentes de ses clients. La satisfaction des clients est priorisée. |
Les actions des employés visent à maximiser l’efficacité interne des opérations afin d’augmenter le retour sur investissement. L’efficacité interne est priorisée. |
Les employés remettent en question les processus opérationnels afin de les rendre plus flexibles. La flexibilité est priorisée. |
Les employés maintiennent la structure organisationnelle et les processus en place. La prévisibilité est priorisée. |
Les responsabilités individuelles évoluent en fonction des besoins changeants. Elles sont constamment adaptées. L’adaptabilité est priorisée. |
Les rôles et responsabilités des employés sont définis dans leurs descriptions de poste. La standardisation est priorisée. |
Les communications se font entre les personnes concernées dans un processus d’amélioration des idées et de co-création des solutions. La collaboration est priorisée. |
Les communications entre niveaux hiérarchiques se font en fonction d’ordre et de directives. Le respect de la hiérarchie est priorisé. |
Les employés utilisent leurs compétences, leurs expertises et leur jugement pour prendre les décisions nécessaires. La confiance envers les compétences des employés est priorisée. |
Les employés respectent les règles établies pour prendre leurs décisions. La confiance dans les règles établies est priorisée. |
L’entreprise est considérée comme un organisme vivant. L’émergence des structures est priorisée. |
L’entreprise est considérée comme une structure mécanique rigide. Une approche mécanique est priorisée. |
La popularité grandissante de l’agilité au sein des équipes et des organisations de développement logiciel amène les entreprises à considérer la mise en place d’une plus grande agilité dans l’ensemble de l’organisation.
Bien que le développement logiciel ait grandement influencé la mise en place de l’agilité au sein des équipes de projets technologiques, la philosophie, les principes et les valeurs agiles s’appliquent largement à l’ensemble des opérations de l’entreprise.
Celles-ci doivent d’ailleurs augmenter leur capacité à réagir rapidement et adéquatement aux nombreux changements auxquels elles sont confrontées. Même lorsque la survie de l’entreprise n’est pas menacée à court terme, l’agilité organisationnelle amène la mise en place d’environnements de travail motivants pour les travailleurs modernes.
Les bénéfices de l’agilité organisationnelle sont donc bien réels. Il vaut donc mieux prendre le virage rapidement afin de se donner un avantage concurrentiel.
Merci à Maryse St-Denis, Denis Migot et Patrick Senez pour leur contribution à cet article.