Le concept de l’auto-organisation des équipes gagne en popularité au sein des entreprises. Cependant, l’auto-organisation est souvent mal comprise et sa mise en place mal exécutée ce qui donne des résultats décevants ou même pire, de la frustration, des équipes dysfonctionnelles et des relations tendues entre les gestionnaires et les membres de leurs équipes.

L’auto-organisation est attrayante pour plusieurs équipes et certaines organisations acceptent de tenter l’expérience sans comprendre complètement ce qui est requis pour en assurer le succès.

Comme le nom l’indique, les équipes auto-organisées gèrent leurs activités et prennent leurs responsabilités sans qu’un supérieur hiérarchique n’ait à diriger ou à contrôler leurs actions. Les membres de l’équipe gèrent leurs propres tâches de manière à atteindre les objectifs qui ont été établis. Par conséquent, ils sont responsables de déterminer la meilleure façon d’accomplir leur travail sans être dépendant d’un supérieur.

Dans le contexte de transformation organisationnelle agile ou dans la mise en place d’éléments soutenant l’entreprise libérée, les dirigeants, les gestionnaires, les coaches d’équipes et les facilitateurs agiles s’emballent rapidement avec l’intention d’augmenter la motivation des employés et la performance de leurs équipes et font généralement une implantation inadaptée de l’auto-organisation. Nous souhaitons donc proposer une approche structurée pour augmenter les chances de succès dans la mise en place de l’auto-organisation des équipes.

Est-ce que l’auto-organisation peut être appliquée dans notre organisation?

Mettre en place des équipes auto-organisées

(image par Amr Elmasry)

Avant même de débuter un projet de mise en place de l’auto-organisation, il est critique d’évaluer 4 éléments relatifs à l’équipe :

  1. Quel est le niveau de développement actuel de l’équipe?
  2. Quel est le niveau de maturité actuel de l’équipe?
  3. Quels sont les prérequis manquants pour avoir une équipe performante?
  4. Quels sont les éléments nécessaires à l’auto-organisation?

Plusieurs organisations n’évaluent pas ces éléments avant de se lancer dans l’aventure de l’auto-organisation. Par conséquent, elles rencontrent des équipes et des gestionnaires qui ne comprennent pas l’objectif visé, le niveau d’autorité à déléguer, les étapes à suivre ou les conditions requises pour compléter avec succès cette démarche.

1.    Quel est le niveau de développement actuel de l’équipe?

Les théories des stades du développement des humains étudiées depuis des dizaines d’années en psychologie s’appliquent aux individus et aux groupes d’individus. Ces théories reposent sur l’hypothèse que le développement (des individus et des groupes d’individus) est un processus discontinu impliquant des étapes distinctes qui sont caractérisées par des différences de comportements et l’évolution de notre perspective sur les situations rencontrées. Ces théories supposent également que les étapes sont les mêmes pour chaque individu (et chaque groupe d’individus), mais que le temps de chaque étape varie individuellement.

Dans son livre Reinventing organizations : Vers des communautés de travail inspirées, Frédéric Laloux décrit les stades de développement des organisations vers le niveau Opal. Bien que la description de Laloux porte sur les entreprises, ces mêmes niveaux s’appliquent à différentes tailles d’organisation, comme à des équipes par exemple.

Le modèle que présente Laloux repose entre autres sur le travail de Ken Wilber et de Don Edward Beck et Christopher C. Cowan. Ces derniers présentent les caractéristiques de chacun des stades de développement individuels et collectifs.

Mettre en place des équipes auto-organisées 00

(image par Rod Collins)

Pourquoi parler des stades de développement?

Excellente question! Sans entrer dans les détails des différents stades de développement dans cet article, on peut affirmer que les motivations individuelles (et collectives) varient d’un stade à l’autre. Notre manière de réagir, de faire du sens des événements et de trouver des solutions aux problèmes rencontrés varie selon notre niveau de développement.

Nos valeurs, nos comportements, nos motivations et nos réactions évoluent en fonction de notre cheminement personnel (et collectif). Dans ce sens, ce qui motive un employé, un leader et une équipe varie en fonction de son stade de développement. Par conséquent, les réactions des membres d’une équipe et de leurs gestionnaires sont prévisibles en fonction de leur stade de développement, ce qui est utile dans la mise en place d’équipes auto-organisées performantes.

Par exemple, alors qu’au stade « ambre », les membres d’une équipe s’attendent à être dirigés et contrôlés par leur gestionnaire, c’est plutôt l’inclusivité, la collaboration et l’autonomie qui domineront au stade « vert ».

Pour revenir au modèle proposé par Laloux, il est important de comprendre qu’il existe des distinctions entre une équipe gérée par un gestionnaire (stade ambre), une équipe gérée par des objectifs (stade orange), une équipe auto-organisée (stade vert) et une équipe autogérée (stade opale).

Alors que ces types d’équipes sont distincts, notre intérêt pour cet article s’arrête à la mise en place d’équipes auto-organisées (stade vert).

Donc, avant de tenter de mettre en place des équipes auto-organisées, il faut d’abord établir le stade de développement actuel de l’équipe (ambre, orange ou vert) parce que le concept de l’auto-organisation ne peut être appliqué avec succès que dans certaines conditions.

En effet, le concept de l’auto-organisation n’est possible que lorsque l’entreprise dans laquelle l’auto-organisation est souhaitée a évolué au-delà du stade « ambre ». Les stades de développement précédent « orange » ne sont pas en mesure de considérer la capacité des employés de compléter adéquatement et de manière autonome leurs activités sans la supervision d’un gestionnaire.

Par conséquent, la mise en place de l’auto-organisation dans un contexte « ambre » est non seulement vouée à l’échec, mais elle provoquera de la confusion, de la souffrance et des conflits pour les employés et les gestionnaires. Plusieurs des éléments liés à l’auto-organisation étant incompréhensible dans un contexte « ambre ».

Pour cette raison, avant de tenter de mettre en place l’auto-organisation, l’entreprise doit être au stade orange ou minimalement dans une démarche de transformation qui vise à l’amener au stade orange pour que l’auto-organisation puisse être implantée avec succès.

Après avoir identifié le stade de développement de l’organisation dans laquelle travaille votre équipe, il est nécessaire d’évaluer ensuite le stade de développement de l’équipe qui souhaite mettre en place l’auto-organisation.

Il est important de noter que si l’équipe n’a pas minimalement atteint le stade orange, il est déconseillé de tenter la mise en place de l’auto-organisation. Si l’équipe se situe au niveau orange ou vert, il convient ensuite d’évaluer le niveau de maturité de l’équipe qui prend un virage vers l’auto-organisation et d’adapter les étapes de la mise en place aux défis de chacun des niveaux.

2. Quel est le niveau de maturité actuel de l’équipe?

Mettre en place des équipes auto-organisées 03

(image par Markus Spiske)

Il existe différents modèles permettant de déterminer le niveau de développement de la maturité des équipes. Celui que nous avons développé nous permet d’abord de déterminer le niveau auquel l’équipe se situe présentement afin d’établir ensuite le plan d’évolution.

Rappelons que le modèle que nous utilisons comprend 6 niveaux.

Construire une équipe mature et performante 04

Niveau 1 | Création vise à créer l’équipe, à établir sa raison d’être et un sentiment d’appartenance au groupe.

Niveau 2 | Construction vise à bâtir la confiance entre les membres de l’équipe et à établir les normes de fonctionnement.

Niveau 3 | Objectifs vise à établir concrètement les objectifs que l’équipe souhaite atteindre et met en place des mécanismes efficaces d’émergence et de résolution de conflits.

Niveau 4 | Engagement vise à obtenir un engagement des membres de l’équipe pour atteindre leurs objectifs, à déterminer les manières utilisées pour évaluer son avancement et à responsabiliser tous les membres de l’équipe dans l’atteinte des résultats.

Niveau 5 | Exécution vise à mettre en place les mécanismes pour améliorer la responsabilisation individuelle et l’efficacité de fonctionnement de l’équipe.

Niveau 6 | Haute performance vise à optimiser l’efficacité et la performance de l’équipe, à intégrer de manière pérenne le fonctionnement établi et à poursuivre l’adaptabilité du groupe aux circonstances rencontrées.

Lorsque le niveau de maturité actuel de l’équipe est déterminé, il devient ensuite nécessaire d’identifier les éléments manquants pour passer au niveau subséquent.

3. Quels sont les prérequis manquants pour avoir une équipe performante?

Mettre en place des équipes auto-organisées 04

(image par Matt Artz)

Il n’est pas possible de mettre en place des équipes auto-organisées qui connaîtront le succès, sans s’être préalablement assuré d’avoir les conditions nécessaires pour avoir une équipe performante. C’est pourquoi nous considérons qu’avant de tenter d’implanter l’auto-organisation des équipes, il est crucial d’avoir établi les éléments nécessaires à la haute performance.

Plusieurs caractéristiques ont été utilisées pour décrire les équipes performantes. Malgré des approches différentes, il existe un ensemble de caractéristiques communes reconnues pour mener au succès.

Une dizaine de critères sont fréquemment mentionnés par les experts. En fonction du niveau actuel, cette « check-list » nous permet d’identifier les éléments qui sont manquants pour permettre à l’équipe d’atteindre un niveau de performance optimal avant de commencer la mise en place de l’auto-organisation.

Niveau 1 | Création

  • Établissement d’une vision et d’une mission d’équipe (raison d’être)
  • Définition claire des rôles et des responsabilités
  • Diversité de composition

Niveau 2 | Construction

  • Définition d’un processus de prise de décisions
  • Mise en place d’une sécurité psychologique

Niveau 3 | Objectifs

  • Définition d’objectifs clairs (résultats à atteindre, échéanciers, budgets) et réalistes
  • Établissement d’un processus de gestion des conflits

Niveau 4 | Engagement

  • Obtention d’un engagement (individuel et collectif)

Niveau 5 | Exécution

  • Évaluation et gestion de la performance (individuelle et collective)

Niveau 6 | Haute performance

  • Mise en place de processus soutenant l’adaptabilité, l’amélioration continue et le développement professionnel

4. Quels sont les éléments nécessaires à l’auto-organisation?

Mettre en place des équipes auto-organisées 05

(image par Jeremy Bishop)

Nous avons mentionné que l’auto-organisation nécessitait certains éléments clés pour en assurer le succès. Ces éléments touchent l’équipe et ses membres ainsi que le gestionnaire de l’équipe. Ces prérequis sont définis pour chacune des étapes de l’évolution d’une équipe.

Mettre en place le carré de sable

La première étape que nous complétons dans la mise en place de l’auto-organisation est l’établissement du carré de sable de l’équipe. En plus de répondre à certains des prérequis pour la mise en place d’équipes hautement performantes, le carré de sable permet d’établir le cadre à l’intérieur duquel les équipes auront la latitude de fonctionner.

Ensuite, l’équipe et son gestionnaire doivent s’assurer d’avoir les éléments suivants pour être en mesure de fonctionner de manière optimale avec l’auto-organisation.

Le rôle du gestionnaire d’une équipe auto-organisée est critique. Pour cette raison, nous traitons de ce rôle dans un article distinct.

Identification des compétences à développer

Niveau 1 | Création

  • Compétence(s) à développer par les membres de l’équipe : Formation sur les équipes auto-organisées.
  • Compétence(s) à développer par le gestionnaire : Être un gestionnaire-coach

Niveau 2 | Construction

  • Compétence(s) à développer par les membres de l’équipe : Établissement de la confiance et de zones sécures, capacité à maintenir un respect mutuel et un sentiment de sécurité et d’assurance entre tous les membres du groupe afin de favoriser l’harmonie, d’augmenter la motivation au travail et d’améliorer les performances.
  • Compétence(s) à développer par le gestionnaire : Capacité à tenir des conversations authentiques.

Niveau 3 | Objectifs

  • Compétence(s) à développer par les membres de l’équipe : Capacité à résoudre efficacement les conflits.
  • Compétence(s) à développer par le gestionnaire : Capacité à coacher adéquatement les membres d’une équipe (coaching individuel).

Niveau 4 | Engagement

  • Compétence(s) à développer par les membres de l’équipe : Capacité à aller chercher l’engagement des membres d’une équipe.
  • Compétence(s) à développer par le gestionnaire : Compétences de coaching de groupe et capacité à faciliter des rencontres productives.

Niveau 5 | Exécution

  • Compétence(s) à développer par les membres de l’équipe : Capacité à donner et à recevoir de la rétroaction de manière appropriée (percutant, utile et avec compassion).
  • Compétence(s) à développer par le gestionnaire : Capacité à éliminer de façon durable les comportements toxiques (maternage, blâme, statu quo, commérage, etc.).

Niveau 6 | Haute performance

  • Compétence(s) à développer par les membres de l’équipe : Compétences en coaching individuel.

 

Nous pouvons constater que la mise en place d’équipes auto-organisées ne s’improvise pas! Plusieurs entreprises ou coaches d’équipes commencent par la redistribution du pouvoir décisionnel vers l’équipe et l’acquisition de nouvelles compétences relationnelles et organisationnelles par les membres de l’équipe. Il est critique d’observer que ces actions sont nécessaires, mais qu’elles s’inscrivent dans un processus plus large et dans une démarche structurée. Les prochains articles traiteront plus en détail du rôle du gestionnaire dans une démarche de mise en place de l’auto-organisation.

D’autres lectures intéressantes